Directive sur les droits d’auteur, lettre ouverte aux eurodéputé·e·s belges

Bruxelles, le 11 septembre 2018 – Quinze associations belges actives dans le domaine du numérique, dont la NURPA, ont fait parvenir une lettre ouverte aux eurodéputé·e·s belges au sujet de la directive sur les droits d’auteur qui sera votée demain. Les signataires appellent les membres du Parlement européen à rejeter nettement toute disposition visant à imposer un blocage automatique des contenus échangés par les internautes.

Ce matin, les membres belges du Parlement européen ont reçu un courrier mettant en perspective l’article 13 du projet de directive sur les droits d’auteur avec les droits et libertés fondamentaux. Cet article prévoit la mise en place de filtres visant à identifier et à bloquer automatiquement certains contenus soumis à des droits d’auteur.

Nous sommes fondamentalement opposés à toute mesure visant à imposer des dispositifs automatiques de filtrage et/ou de blocage. Une telle démarche mettrait invariablement en péril le droit à la vie privée et la liberté d’expression de l’ensemble des citoyens. En effet, tout filtrage implique une surveillance de l’intégralité des échanges ; tout blocage a priori crée un contexte d’incertitude et les conditions d’une disparition des opinions minoritaires.

Nulle technologie n’est capable d’évaluer une situation selon toutes les subtilités de la loi (notamment celles relatives, dans le cas présent, aux exceptions légales aux droits d’auteur), et nulle technologie ne devrait donc se voir confier cette tâche. Par ailleurs, cela revient à transférer les prérogatives de l’État à des entreprises privées, il s’agit là d’une forme de privatisation de la justice.

La lettre est disponible en français, néerlandais et anglais.

Logo NURPA

Bruxelles, le mardi 11 septembre 2018

Madame/Monsieur l’eurodéputé·e,

Le 12 septembre, la session plénière du Parlement européen devra se prononcer sur la « directive copyright ». Nous, organisations de la société civile belge, vous écrivons afin de vous alerter sur un certain nombre de problèmes liés au projet de directive. Plus précisément, son article 13, tel que proposé dans les textes des députés européens Voss et Cavada, appelle à des mesures irréalistes qui, si elles venaient à être implémentées, seraient inefficaces et dangereuses, car elles contraindraient nombre d’entreprises Internet à surveiller et à filtrer l’entièreté des communications des internautes européens :

  • Les filtres automatiques mettent en péril le droit à la vie privée, étant donné que de tels filtres nécessiteraient une surveillance complète de l’ensemble des communications en ligne.
  • Les filtres automatiques nuisent à la liberté d’expression des individus : toutes les tentatives antérieures ont démontré leur inefficacité et se sont invariablement soldées par une censure aveugle, sans procédure de recours équitable, de créations culturelles originales, de créations entrant dans le spectre des exceptions aux droits d’auteur, d’opinions politiques ou culturelles minoritaires…
  • Les filtres automatiques consolideront les monopoles des géants d’Internet (Google, Facebook, etc.) car ils disposent déjà d’infrastructures de filtrage — dysfonctionnelles s’il en est. Les petites entreprises européennes et les startups seront les seules à faire face aux nouveaux coûts liés au développement et/ou à la mise en place d’une infrastructure. Coûts auxquels s’ajouteront ceux de l’incertitude juridique.
  • Une fois l’infrastructure de filtrage mise en place pour les infractions aux droits d’auteur, il sera trivial d’étendre ce mécanisme de censure à toutes sortes de communications « importunes » quelle qu’en soit la nature (politique, culturelle…).
  • Enfin, même s’ils étaient acceptables du point de vue de la liberté d’expression et de la vie privée, il s’agit d’une fuite en avant, une nouvelle manifestation de « solutionnisme technologique » qui consiste à brandir des technologies (qui n’existent pas dans le cas d’espèce) comme solution miracle à des problèmes qui nécessitent une réflexion et des changements profonds dans la société toute entière.

Nous considérons que la priorité des législateurs européens devrait être le respect des droits et libertés des citoyens européens — tels que consacrés par la Charte des droits fondamentaux — et le maintien d’un équilibre avec les droits de tous les créateurs, qu’ils/elles sont par ailleurs. D’autre part, l’accent devrait être mis sur le renforcement de l’économie et de la culture européenne, aspect que le texte omet soigneusement d’aborder.

Ces arguments, et d’autres, ont été soulevés dans divers appels du rapporteur spécial de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression ¹ ; par plus de 70 sommités d’Internet ² ; 56 universitaires de renom qui ont cosigné une recommandation sur l’article 13 ³ ; plus de 13 500 programmeurs et développeurs de logiciels open source ⁴ ; plus de 80 signataires représentant des associations de défense de la liberté de la presse, des éditeurs, journalistes... ⁵; 57 ONG de défense des droits humains ⁶ ; plus de 500 bibliothèques, universités, chercheurs... ⁷ ; 22 startups et services en ligne avec une quantité considérable d’utilisateurs dans l’UE ⁸ ; des plateformes en ligne et des entreprises de technologies européennes ⁹ ; 25 centres indépendants de recherche juridique, économique et sociale ¹⁰ ; l’« European innovative media publishers » ¹¹ ; l’Institut Max Planck pour l’innovation et la concurrence ¹² ; et, enfin, le centre de recherche du Parlement européen qui a souligné les risques associés aux filtres automatiques ¹³.

C’est pourquoi nous vous exhortons à voter en faveur de l’amendement déposé par la Commission IMCO qui supprimerait le filtrage automatique du projet de directive.

Veuillez agréer l’expression de notre considération distinguée.

  • Abelli asbl/vzw
  • Bruxelles Linux User Group (BxLUG)
  • CESEP asbl/vzw
  • Cassiopea asbl/vzw
  • Creative Commons Belgium
  • Datapanik asbl/vzw
  • Domaine Public asbl/vzw
  • Liga voor Mensenrechten asbl/vzw
  • Net Users’ Rights Protection Association (NURPA) asbl/vzw
  • Neutrinet asbl/vzw
  • nubo
  • Open Knowledge Belgium asbl/vzw
  • Petites Singularités asbl/vzw
  • Tactic asbl/vzw

Notes et références

¹ « Mandate of the Special Rapporteur on the promotion and protection of the right to freedom of opinion and expression », 2018-06-13

² « 70+ Internet luminaries ring the alarm on EU copyright filtering proposal », 2018-06-12

³ « The recommendation on measures to safeguard fundamental rights and the open Internet in the framework of the EU copyright reform », 2017-10-20

« European copyright reform :impact on free and open source software and developer communities », 13 500+ signatories

« Open letter in light of the competitiveness council on 30 november 2017 », 80+ signatories, 2017-11-30

« Article 13 open letter – monitoring and filtering of Internet content is unacceptable », 57 signatories, 2017-10-16

« International coalition joins together to halt potentially harmful copyright reform », 500+ signatories, 2018-02-27

« Letter regarding the proposal for a directive of the European Parliament and of the Council on copyright in the digital single market », 22 signatories, 2017-04-05

« CCIA-EDiMA joint-letter on article 13 of the copyright proposal », 2017-12-11

¹⁰ « The copyright directive is failing, open letter to members of the European Parliament and the Council of the European Union », 25 signatories, 2018-04-26

¹¹ « Members’ voice: why should publishers worry about Article 13 of the copyright reform? », 2017-11-18

¹² « Position statement of the Max Planck institute for innovation and competition on the proposed modernisation of European copyright rules », 2017-03-01

¹³ « Modernisation of EU copyright rules », 2016-12

Les eurodéputé·e·s belges face à la directive sur les droits d’auteur

Nous avons dressé une liste des eurodéputé·e·s à convaincre de la nécessité de rejeter l’article 13 en nous référant aux résultats du précédent vote sur la directive (p. 7). Notez que cette liste est indicative, il est crucial que nous nous assurions collectivement que l’ensemble des membres belges du Parlement européen vote, demain, de façon informée.

Convaincu·e·s :

Il est encore temps de contacter vos réprésentants par mail et/ou par téléphone pour faire entendre votre voix.

Illustration CC-BY Sébastien Bertrand