ACTA : lettre ouverte aux parlementaires belges

Bruxelles, le 30 avril 2012 - Datapanik.org, la Ligue des droits de l’Homme, la Liga voor Mensenrechten et la NURPA ont envoyé une lettre ouverte par courrier aux membres du Parlement fédéral afin de les sensibiliser aux conséquences néfastes que l’Anti-Counterfeiting Trade Agreement (ACTA) aurait sur les libertés et droits fondamentaux. Les signataires appellent les différents partis politiques à s’opposer à l’ACTA, tant au niveau national qu’européen. Par ailleurs, à quelques semaines du vote sur l’Accord, la NURPA s’est intéressée à la position des différents eurodéputés belges vis-a-vis de l’ACTA.

Ce matin, les députés et sénateurs du Parlement fédéral ont reçu un courrier de quatre pages 1 détaillant les risques que l’ACTA ferait peser sur les droits et libertés fondamentaux des citoyens s’il était adopté. Dans ce document, Datapanik.org, La Ligue des droits de l’Homme, la Liga voor Mensenrechten et la NURPA insistent particulièrement sur les dangers qu’engendreraient une responsabilisation accrue des intermédiaires techniques et une pénalisation du partage de fichiers sans but commercial, notamment pour la protection des données personnelles et la liberté d’expression. D’autre part, les quatre associations soulignent le caractère non-démocratique caractérisant les deux années de négociation de l’Accord et enfermant — encore aujourd’hui — certains documents cruciaux pour l’interprétation de l’ACTA sous le sceau du secret.

Bruxelles, le vendredi 27 avril 2012

Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs,

Cette lettre ouverte a pour objet de vous faire part de nos préoccupations quant aux dangers que la participation de la Belgique à l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon (Anti-Counterfeiting Trade Agreement, ou ACTA 1) impliquerait sur les droits et libertés fondamentaux de tous les citoyens. Les implications de l’ACTA sont bien plus vastes que celles soulevées par ce courrier. Cependant, persuadés du rôle crucial que revêt désormais Internet pour l’exercice de la liberté d’expression et de communication, notre analyse se limitera à ce sujet.

ACTA contourne les institutions démocratiques et cultive le secret

L’ACTA est un accord plurilatéral visant notamment à créer un standard international pour l’application de la « propriété intellectuelle » au sens large (droit d’auteur, droit des marques, etc.). Négocié à huis clos pendant plus de deux ans, en excluant des débats la plupart des pays en voie de développement, sa version définitive a été rendue publique le 3 décembre 2010. L’ACTA vise à mettre en place une nouvelle organisation internationale, le « Comité ACTA », qui serait indépendante d’institutions telles que l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle) ou l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Cette nouvelle entité serait en outre chargée d’examiner les propositions d’amendement du texte de l’accord et de veiller à sa mise en œuvre par les parties. Ceci lui confère bien peu de légitimité démocratique à l’égard de l’Organisation des Nations unies, de l’Union européenne et des gouvernements nationaux.

Afin d’évaluer de manière objective les potentielles implications de l’accord, il est indispensable de ne laisser subsister aucun doute quant à l’interprétation qui peut être réalisée des différents articles. À ce sujet, la Commission européenne indique que l’ACTA entre dans le champ d’application de de la Convention de Vienne sur le droit des traités 2. L’article 32 de cette Convention précise que les travaux préparatoires et les circonstances dans lesquelles le traité a été conclu sont deux éléments à prendre en considération pour son interprétation.

Aucune partie à l’ACTA n’a, à ce jour, accepté de rendre publics les documents de négociation, pourtant indispensables à l’interprétation des nombreux éléments ambigus et obscurs du texte. La NURPA n’a obtenu que quelques documents préparatoires censurés 3 comme seule réponse à sa demande d’accès aux documents.

ACTA est disproportionné et formulé de manière vague

L’ACTA introduit une notion d’« échelle commerciale » sans en fournir une définition précise. Cette expression, vague, est particulièrement inadaptée à l’environnement numérique, dans lequel chaque action est volontairement — ou non — exposée à un nombre indéterminé d’interlocuteurs. L’ACTA ne fournit aucun critère de définition ou d’évaluation de cette « échelle commerciale ». Dans une résolution 4 concernant les mesures pénales visant à assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, le Parlement européen avait explicitement requis que soient exclus de la définition d’« échelle commerciale » les « actes accomplis par les usagers privés à des fins personnelles et non lucratives ». Cette nuance ne transparait nullement dans le texte de l’accord.

À l’heure où chacun est actif sur les réseaux sociaux, l’ACTA pourrait s’appliquer indistinctement à un individu partageant un lien vers un site web hébergeant illégalement des contenus soumis au droit d’auteur, ou à des multinationales spécialisée dans la contrefaçon. L’interprétation de cette notion serait — in fine — laissée à la discrétion de sociétés privées.

En encourageant des mesures extra-judiciaires à travers une coopération accrue entre des entreprises privées, l’ACTA confère à ces dernières toute largesse quant aux moyens de mise en application de telles mesures et remet sérieusement en doute les principes de l’État de droit. L’ACTA substitue les ayants droit au juge lorsqu’il s’agit de déterminer la licéité d’un comportement et les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) à la police judiciaire lorsqu’il s’agit de constater les infractions.

ACTA transforme les intermédiaires techniques en « police privée d’Internet »

L’ACTA introduit une responsabilité pénale au titre de la complicité pour des activités commerciales impliquant « un avantage économique ou commercial direct ou indirect » et incite à favoriser des mesures « rapides et efficaces ». L’accord contraindrait les intermédiaires techniques à mettre en place des dispositifs toujours plus intrusifs afin de détecter et de prévenir les éventuels échanges portant sur du matériel soumis au droit d’auteur. L’ACTA, en poussant à une automatisation des sanctions, bafoue le principe du contradictoire, qui assure notamment au contrevenant présumé la possibilité de discuter l’énoncé des faits et les moyens opposés.

Les fournisseurs d’accès à Internet, les fournisseurs de services (notamment réseaux sociaux) ou encore les hébergeurs seraient contraints de recourir à des moyens techniques d’écoute et de surveillance systématiques de toutes les données transitant par leurs infrastructures. Il est techniquement impossible de mettre en application des mesures « rapides et efficaces » telles que le prévoit ACTA sans déployer des mécanismes de filtrage a priori, portant par exemple sur des termes, expressions, protocoles ou types de fichiers donnés.

De plus, différents articles de l’ACTA contiennent des dispositions contraignant les fournisseurs d’accès à Internet à divulguer aux ayants droit les informations personnelles non seulement des « contrevenants » mais aussi des « contrevenants présumés » (voir articles 4, 11 et 27.4). En outre, selon l’article 11, les renseignements peuvent inclure « l’identité de tierces parties qui seraient impliquées » dans l’infraction.

D’après le Contrôleur européen de la protection des données 5 :

« De telles pratiques portent clairement atteinte à la sphère privée des personnes physiques. Elles favorisent la surveillance généralisée des activités des internautes, y compris les activités parfaitement légales. Elles affectent ainsi des millions d’internautes respectueux des lois, dont de nombreux enfants et adolescents […] »

L’ACTA a été négocié par et pour une industrie du droit d’auteur en mal de renouvellement. Depuis plus de dix ans, plutôt que de chercher à adapter ce droit aux nouveaux usages, on note une obstination sans faille à tenter de criminaliser tant les utilisateurs que les entrepreneurs innovants. Une fois de plus, au prétexte de protéger le droit d’auteur, et sans nuance, l’accord impose des sanctions pénales pour des actes dont la formulation vague conduira inéluctablement à la mise en péril des droits fondamentaux.

La Commission européenne a indiqué le mercredi 22 février qu’elle soumettra l’ACTA à la Cour de justice de l’Union afin que celle-ci procède à l’évaluation de la compatibilité des aspects de l’accord avec les traités européens, en particulier avec la charte des droits fondamentaux. Cependant, aucune réponse ne sera apportée quant à la compatibilité de l’accord avec l’ensemble de l’acquis de l’Union; aucun avis ne sera rendu sur la pertinence d’un tel accord dans le contexte actuel du droit d’auteur; aucune évaluation ne sera faite de l’efficacité des mesures extra-judiciaires encouragées par l’ACTA et de leur impact sur les droits et libertés fondamentaux.

Nous appelons donc les députés européens de Belgique et leurs partis politiques à rejeter l’Accord Commercial Anti-Contrefaçon et à prendre en considération le respect des droits fondamentaux dans l’évaluation des futures mesures traitant des matières liées à la propriété intellectuelle.

Souhaitant sincèrement poursuivre ces échanges, dans l’attente de votre réponse,

Veuillez agréer l’expression de notre considération distinguée.

Datapanik.org
Liga voor Mensenrechten
Ligue des Droits de l’Homme
Net Users’ Rights Protection Association (NURPA)

Informations de contact des signataires :

Datapanik .org - datapanik@datapanik.org
Liga voor Mensenrechten - info@mensenrechten.be
Ligue des Droits de l’Homme - ldh@liguedh.be
Net Users’ Rights Protection Association (NURPA) - contact@nurpa.be

Les eurodéputés belges face à l’ACTA

À quelques semaines du vote sur l’ACTA, nous avons établi un classement des membres belges du Parlement européen en fondant notre analyse sur différents votes relatifs à l’ACTA 2. Plus le score est faible, plus les votes de l’eurodéputé traduisent une position favorable à l’Accord.

  • 1 100 / 100 PS Marc TARABELLA
  • 100 / 100 ECOLO Philippe LAMBERTS
  • 2 99.9 / 100 PS Frédéric DAERDEN
  • 3 99.8 / 100 sp.a Saïd EL KHADRAOUI
  • 99.8 / 100 ECOLO Isabelle DURANT
  • 4 99.7 / 100 PS Véronique DE KEYSER
  • 99.7 / 100 sp.a Kathleen VAN BREMPT
  • 5 99.1 / 100 N-VA Frieda BREPOELS
  • 6 80 / 100 OpenVLD Guy VERHOFSTADT
  • 7 79.1 / 100 OpenVLD Annemie NEYTS-UYTTEBROECK
  • 8 67.2 / 100 INDEP Frank VANHECKE
  • 9 49.9 / 100 Groen Bart STAES
    • Greens/EFA
    • Rapport Gallo : 0/100
    • Résolution sur ACTA : 99.8/100
  • 10 30.9 / 100 VB Philip CLAEYS
  • 11 26.7 / 100 MR Frédérique RIES
  • 12 20.3 / 100 cdH Anne DELVAUX
  • 13 7.7 / 100 CD&V Ivo BELET
  • 14 7.6 / 100 CD&V Marianne THYSSEN
  • 7.6 / 100 CD&V Jean-Luc DEHAENE
  • 15 7.5 / 100 Liste D. Derk Jan EPPINK
  • 7.5 / 100 CSP Mathieu GROSCH
  • 16 6.3 / 100 MR Louis MICHEL
    • ALDE
    • Rapport Gallo : /100
    • Résolution sur ACTA : 6.3/100

Dans le haut du classement (100-81/100) : ECOLO, le PS, le sp.a et la N-VA. En milieu de classement (80-51/100) : l’OpenVLD et un indépendant. Dans le bas du classement (50-0/100) : Groen, le cdH, le MR, le CD&V, la Liste Dedecker et le CSP.

À l’échelle européenne, les groupes ALDE (dont l’OpenVLD et le MR sont membres), Greens/EFA (dont ECOLO, Groen et la N-VA sont membres), et S&D (dont le PS et le sp.a sont membres) ont ouvertement appelé au rejet de l’Accord. Seul le groupe EPP (dont le CD&V et le cdH sont membres), désormais isolé, se borne à promouvoir et à défendre cet accord indéfendable.

La tentation est grande de céder à l’engouement que certains calculs prévisionnels hasardeux pourraient susciter. En effet, après le groupe EPP, les groupes S&D, ALDE et Greens/EFA sont les trois plus importants groupes en nombre de députés au sein du Parlement européen. Cependant, les appels au rejet lancés par les présidents des différents groupes ne garantissent en rien que l’ensemble des eurodéputés suivra ces recommandations.

« Plus que jamais, la mobilisation citoyenne doit persister. Dans les prochains jours, la NURPA mettra à disposition un outil permettant de contacter les membres du Parlement fédéral et les eurodéputés belges. Il est de la responsabilité de chaque citoyen sensible aux problématiques qu’engendre l’ACTA d’informer ses représentants et de manifester son désaccord ou ses craintes. Il est par ailleurs de la responsabilité politique des députés et sénateurs du Parlement fédéral de tenter de mettre tout en œuvre pour veiller à ce que l’ACTA subisse un rejet net de la part de eurodéputés belges. » conclut André Loconte, co-fondateur et porte parole de la NURPA.

Références

1 : les versions PDF du document sont disponibles en français et néerlandais
2 : les votes des amendements au rapport Gallo de septembre 2010 et ceux de la résolution sur l’ACTA de novembre 2010