Position ambigüe du PS face à la neutralité du Net en Belgique

Illustration de la Constitution belge qui laisse apparaître par transparence les mots ’filtrage Internet’ (en majuscule). Le logo du parti socialiste recouvre le coin inférieur droit de l’ensemble

Bruxelles, le 25 mai 2011 - Le Parti socialiste annonçait, il y a quelques jours, sa volonté de fixer le principe de « Neutralité du Net » dans la Constitution belge. Si cette proposition se concrétisait, elle établirait les fondements juridiques indispensables - et pourtant manquants - garantissant à chaque citoyen la liberté d’expression à l’ère de la société de l’information et pourrait mettre fin aux dérives qui, déjà aujourd’hui, portent préjudice à plusieurs catégories de consommateurs. Toutefois, le PS continue de promouvoir, en parallèle, un filtrage d’Internet pour des raisons économique. Deux voies rigoureusement incompatibles.

Le 17 mai 2011, le Parti socialiste déposait à la Chambre des Représentants une proposition de loi visant à inscrire le principe de neutralité du Net dans la loi du 13 juin 2005 relative aux communications électroniques. Le texte vise également à sanctionner d’une amende de 50 à 50 000 euros toute violation de ce principe. Cette proposition était suivie le lendemain d’une proposition de révision de la Constitution visant à compléter l’article 23 par l’ajout d’un « droit à l’accès à un réseau public de communications électroniques qui soit neutre ».

Alors que le MR (HADOPI) et Ecolo (licence globale) invitent à des débats sereins et objectifs sur les thèmes d’Internet et de la rémunération des auteurs, cette proposition du PS pourrait être la clé de voûte de cette ambitieuse entreprise. Il est en effet indispensable, lorsqu’est abordée la question du développement de l’offre légale, de s’interroger en amont quant aux conditions qui permettraient à celle-ci de se développer.

Le principe de neutralité du Net

Dans un récent rapport parlementaire français relatif à la neutralité d’Internet et des réseaux, le principe de neutralité du Net est définit comme suit :

« La capacité pour les utilisateurs d’Internet d’envoyer et de recevoir le contenu de leur choix, d’utiliser les services ou de faire fonctionner les applications de leur choix, de connecter le matériel et d’utiliser les programmes de leur choix, dès lors qu’ils ne nuisent pas au réseau, avec une qualité de service transparente, suffisante et non discriminatoire, et sous réserve des obligations prononcées à l’issue d’une procédure judiciaire et des mesures nécessitées par des raisons de sécurité et par des situations de congestion non prévisibles. »

Il s’agit, en d’autres termes, de garantir que les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) mettent à disposition un accès au réseau homogène et dénué de discrimination (filtrage, bridage…), bref un accès neutre. Cette neutralité, principe fondamental d’Internet, est le terreau qui a permis à de modestes projets de se développer librement pour devenir aujourd’hui acteurs économiques, culturels et sociaux de premier plan (Google, Wikipedia, Facebook…).

Le double langage du PS

Plus tôt cette année, le PS déposait, à l’initiative de cinq députés 1 (trois d’entre eux sont également promoteurs des propositions relatives à la neutralité du Net), une proposition de loi imposant une responsabilisation des intermédiaires lors d’atteintes au droit d’auteur et droits voisins.

Cette proposition modifie la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et droits voisins. Par l’entremise d’agents commissionnés chargés de rechercher, constater puis signaler les infractions, elle contraint notamment les FAI (identifiés comme source de tous les maux) à mettre en place des dispositifs de blocage de sites Internet.

Il est à noter que, comme leur nom l’indique, les intermédiaires techniques ne font que transporter l’information. Ils ne sont pas une « source ». Pour agir à la source, il faut se tourner vers les responsables des sites web, pas vers les intermédiaires comme l’affirme le PS.

Proposition de loi filtrage du net Proposition de loi neutralité du net
L’objet de la présente proposition de loi est […] de faire respecter la législation en matière de droit d’auteur et de droits voisins en s’attaquant non pas aux consommateurs mais bien aux prestataires de services (les fournisseurs d’accès Internet (les FAI) […] (p.4, § 7) L’inquiétude des industries culturelles en pleine période de mutation peut, elle aussi, susciter la tentation de brider les échanges afin de faire perdurer des modèles économiques devenus obsolètes. (p.5, § 2)
Pour ce faire, la proposition de loi propose d’agir […] au niveau des FAI afin de bloquer l’accès aux sites incriminés […] (p.5, § 4) Ainsi, ce principe garantit que les utilisateurs ne feront face à aucune gestion du trafic Internet qui aurait pour effet de limiter leur accès aux seules applications et services distribués sur le réseau. (p.5, § 4)
Le principe de neutralité défend également la préservation d’Internet comme un espace de liberté où le citoyen ne voit pas ses choix limités et prédéterminés et garde sa capacité d’innover, de redéfinir ce qu’il souhaite ou ne souhaite pas retirer de cet espace. Dans le monde numérique, comme partout ailleurs, nous devons veiller à ne pas porter atteinte aux droits et libertés de tous pour justifier la lutte (aussi légitime soit-elle) contre les comportements illégaux de certains. (p.6, § 3)
Il est donc nettement plus facile de s’attaquer aux FAI […] (p.6, § 3) En portant atteinte à la neutralité de l’Internet, les États qui céderaient à cette tentation feraient plusieurs pas vers la transformation de ce réseau en une vaste galerie marchande, gouvernée par les intérêts des plus gros "commerçants". (p.6, § 1)

La légitimité du filtrage plus que jamais contestée

Le rapport de Laure de Raudière et de Corinne Erhel, évoqué plus haut, reconnait au blocage :

« des effets négatifs directs (restriction de la liberté d’expression et de communication) et indirects (surblocage, développement du chiffrement, etc.). » (p.73)

Le 14 avril dernier, M. Cruz Villalón, avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, rendait ses conclusions dans le cas Scarlet/SABAM 2, il indiquait :

« [qu’]une mesure qui ordonne à un fournisseur d’accès à Internet la mise en place d’un système de filtrage et de blocage des communications électroniques aux fins de protéger les droits de propriété intellectuelle porte en principe atteinte aux droits fondamentaux. »

Citons encore un récent rapport du rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU sur la promotion et la protection des droits à la liberté d’opinion et d’expression présenté ce 16 mai en assemblée générale :

« Le blocage ou le filtrage par les États s’opère souvent en violation de leur obligation de garantir le droit à la liberté d’expression […]. Premièrement, les conditions précises qui justifient le blocage ne sont pas établies juridiquement et, si elles le sont, leur définition extrêmement large et vague crée un contexte propice à un blocage arbitraire et excessif. Deuxièmement, le recours au blocage est injustifié pour traiter d’objectifs autres que ceux listés à l’article 19, paragraphe 3, de l’International Covenant on Civil and Political Rights ; de plus, les listes de blocage sont généralement gardées secrètes, ce qui empêche de vérifier si les contenus bloqués le sont pour des raisons légitimes. Troisièmement, même dans les cas ou une justification est fournie, les mesures de blocage constituent des moyens inadaptés et disproportionnés au regard du but poursuivi car elles sont souvent mal ciblées et rendent une grande quantité de contenus légitimes inaccessible, en plus de ceux qui avaient été jugés illicites. Enfin, les contenus sont souvent bloqués sans l’intervention ou sans la possibilité de recours à une institution judiciaire ou indépendante. » (IV. A. 31)

« Il était temps que les véritables enjeux soient abordés, une définition juridique du principe de neutralité du réseau est la seule base tangible sur laquelle pourrait s’appuyer le débat serein souhaité par Ecolo et le MR. Cette proposition va dans la bonne direction mais nous regrettons qu’elle ne définisse pas plus clairement le principe de neutralité du Net et n’impose, par exemple, aucune obligation à l’IBPT de promouvoir et de veiller au respect de ce principe. Nous déplorons, par ailleurs, la démarche contradictoire du PS, qui souligne l’importance d’un réseau neutre et non discriminant et qui, en même temps, prône un filtrage qui établirait une atteinte grave à ce principe de neutralité d’Internet. Il est indispensable, pour que les débats demeurent constructifs, que le PS retire sa proposition de loi visant à responsabiliser les intermédiaires techniques. » conclut Daniel Faucon, porte-parole de la NURPA.

Références

1 : Karine Lalieux, Valérie Déom, Olivier Henry, Philippe Blanchart et Linda Musin
2 : version complète des conclusions de l’avocat général dans le cas Scarlet/SABAM