La HADOPI belge amputée de sa partie répressive

Photographie de l’intérieur du Sénat (Belgique)

Bruxelles, le 12 mai 2011 - La NURPA a été entendue hier par la Commission des Finances et des Affaires Économiques (COMFINECO) du Sénat de Belgique dans le cadre de l’examen des récentes propositons de loi de type « licence globale », déposée par le groupe Ecolo-Groen!, et « HADOPI » 1, issue du MR. Le Sénateur Richard Miller a profité de cette occasion pour indiquer qu’il avait déposé un amendement visant à enlever les articles 14 à 24 de sa proposition de loi. En d’autres termes, supprimer le principe de « réponse graduée ».

Ce mercredi 11 mai, la Commission FINECO organisait une audition autour du thème « Le droit d’auteur et Internet ». Dans ce cadre, plusieurs protagonistes étaient conviés. Citons notamment : Séverine Dusollier 2 (CRIDS), Daniel Faucon (NURPA), Frédéric Young (SACD-SCAM), Frans Wauters (SAJ), Julek Jurowicz (SMARTBE), Isabelle De Vinck (ISPA), ainsi que des représentants de la SABAM et de Test-Achat. Il s’agissait pour chacun d’exposer le point de vue des différents intérêts représentés.

Au terme des échanges de cette journée, deux avis antagonistes dominaient : d’une part l’idée selon laquelle les intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès) inciteraient au « téléchargement illégal » et devraient, de fait, être « responsabilisés » ; d’autre part, celle proche du principe de neutralité du réseau, consistant notamment à ne pas responsabiliser les intermédiaires techniques pour les contenus échangés via Internet.

Il émergeait, par ailleurs, un consensus contre la proposition de loi « HADOPI » et plus particulièrement son volet répressif, largement inspiré du modèle français. Il y a plus d’un an, nous avions déjà mis en garde le promoteur 3 de la première version de la proposition de loi quant aux différentes dérives que l’application d’un tel texte pourrait engendrer. Cela n’avait pas empêché qu’une version identique soit déposée à la Chambre et au Sénat courant du mois de janvier de cette année.

« Il se trouve que dans la proposition MR, il y a des aspects inapplicables, inefficaces […] » déclarera notamment Richard Miller, porteur du texte « HADOPI » au Sénat.

L’annonce de la journée aura sans doute été celle de Richard Miller, qui en surprendra plus d’un en informant l’assistance du dépôt, par le Mouvement Réformateur, d’un amendement visant à supprimer tout le dispositif répressif de la proposition « HADOPI ». Il s’agit plus précisément des articles 14 à 24.

Que reste-t-il de la HADOPI à la belge ?

Proposition de loi favorisant la protection de la création culturelle sur Internet

Chapitre Ier: Dispositions générales

Article 1er

La présente loi règle une matière visée à l’article 78 de la Constitution, à l’exception de l’article 18 qui règle une matière visée à l’article 77 de la Constitution.

Art. 2

Pour l’application de la présente loi on entend par:

1º ministre: le ministre qui a l’Économie dans ses attributions;

2º fournisseur d’accès: un opérateur de la société de l’information qui fournit un accès au réseau de communication électronique;

3º titulaire: toute personne physique ou morale titulaire d’un numéro attribué par un fournisseur d’accès pour la fourniture de communication électronique et qui utilise un service de communication électronique en exécution d’un contrat passé avec un fournisseur d’accès;

4º Conseil: le Conseil de la protection des droits d’auteur sur Internet.

Chapitre II: De la lutte contre les sites Internet illégaux

Art. 3

L’article 20, § 3, de la loi du 11 mars 2003 sur certains aspects juridiques des services de la société de l’information est complété par un alinéa 3 rédigé comme suit:

« La décision prise par le procureur du Roi s’impose à tous les fournisseurs d’accès permettant l’hébergement de l’activité ou de l’information illicite visée au premier alinéa. »

Art. 4

Dans l’article 26 de la même loi les modifications suivantes sont apportées:

1º le paragraphe 4 est complété à la fin par le membre de phrase suivant: « ainsi que les prestataires qui refusent de fournir la collaboration requise sur la base de l’article 21, § 1er, alinéa 2, ou de l’article 21, § 2. »;

2º le 3º du paragraphe 5 est supprimé.

Chapitre III: De la promotion des sites contenant des œuvres dont la mise à disposition du public a été autorisée par les auteurs et titulaires de droits voisins

Art. 5

Dans les contrats conclus avec les titulaires, les fournisseurs d’accès font figurer:

1º une mention claire que les auteurs et les titulaires des droits voisins disposent du droit exclusif d’autoriser la reproduction et la communication au public de leurs œuvres ou de leurs prestations;

2º la réglementation en vigueur en matière de droits d’auteur;

3º une information sur l’offre légale de contenus culturels en ligne par la mention du site Internet créé par le Conseil, visé à l’article 25, alinéa 7, ainsi que sur les dangers pour la création artistique et pour l’économie du secteur culturel des pratiques ne respectant pas les droits d’auteur et les droits voisins;

4º une information quant à la nécessité pour le titulaire de sécuriser son accès à un service de communication au public en ligne;

5º une mention des dispositions et sanctions prévues par la présente loi.

Art. 6

L’article 91 de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur est complété par un 24º rédigé comme suit:

« 24º proposer une offre de service de communication en ligne permettant un téléchargement illimité en omettant de mentionner que le téléchargement ne peut que concerner des œuvres dûment autorisées aux conditions prévues par la loi du … visant à promouvoir la création culturelle sur Internet. »

Chapitre IV: De la mise à disposition au public d’œuvres et de prestations par des opérateurs de bases de données

Art. 7

Les auteurs et les titulaires de droits voisins disposent du droit exclusif d’autoriser la reproduction et la communication au public de leurs œuvres ou de leurs prestations, en totalité ou en extraits, par des opérateurs de bases de données mises en ligne, à titre gratuit ou onéreux, et permettant au public de réaliser le chargement, la visualisation, l’échange d’œuvres ou de prestations, ou encore de se mettre à jour automatiquement selon un procédé informatique.

Art. 8

Le droit des auteurs et des titulaires de droits voisins d’accepter ou d’interdire la mise à disposition au public d’œuvres ou de prestations par les opérateurs de base de données ne peut être exercé que par une société de gestion des droits, telle que prévue dans la loi du 30 juin 1994 relative au droit d’auteur et aux droits voisins.

Lorsque l’auteur ou les titulaires de droits voisins n’ont pas confié la gestion de leurs droits à une société de gestion de droits, la société qui gère les droits de la même catégorie est réputée être chargée de gérer leurs droits.

Lorsque plusieurs sociétés de gestion de droits gèrent des droits de cette catégorie, l’auteur ou les titulaires de droits voisins peuvent désigner eux-mêmes celle qui sera réputée être chargée de la gestion de leurs droits. Ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations résultant du contrat conclu entre les fournisseurs d’accès et la société de gestion de droits que les titulaires qui ont chargé cette société de défendre leurs droits.

Ils peuvent faire valoir leurs droits dans un délai de cinq ans à compter de la date de la première mise à disposition de leur œuvre ou de leur prestation par l’opérateur de base de données.

Art. 9

Un accord concernant la mise à disposition d’œuvres ou de prestations par les opérateurs de base de données est négocié entre les opérateurs de base de données et les sociétés de gestion.

Cet accord porte sur une rémunération de droits d’auteur et droits voisins. Cet accord est négocié distinctement pour le secteur de la musique, de l’audiovisuel, de l’édition et de la presse.

Art. 10

Lorsque la conclusion d’un accord autorisant la mise en ligne par les opérateurs de base de données est impossible, les parties peuvent faire appel à trois médiateurs.

Les médiateurs sont désignés selon les règles de la sixième partie du Code judiciaire applicables à la désignation des arbitres. Ils doivent présenter des garanties d’indépendance et d’impartialité. Ils ont pour tâche d’aider aux négociations et peuvent formuler des propositions après avoir entendu les parties concernées. Les propositions sont notifiées par lettre recommandée avec accusé de réception.

Les parties sont censées accepter les propositions qui leurs sont adressées si dans les trois mois de la notification aucune d’entre elles ne s’y oppose au moyen d’une notification aux autres parties dans les mêmes formes.

Art. 11

L’accord visé à l’article 9 est renouvelé annuellement par tacite reconduction.

Toute demande de modification de l’accord ou de dénonciation de celui-ci doit être introduite au plus tard un mois avant le délai fixé à l’alinéa 1er du présent article.

La demande doit être motivée et accompagnée d’une nouvelle proposition. Jusqu’à ce qu’un nouvel accord soit conclu, l’accord précédent reste d’application

Chapitre V: Des échanges, via les fournisseurs d’accès, d’œuvres ou de prestations

Art. 12

Un accord concernant les échanges via les fournisseurs d’accès d’œuvres ou de prestations protégées par le droit d’auteur est négocié entre les fournisseurs d’accès et les sociétés de gestion.

Cet accord détermine les limites et les conditions dans lesquelles le titulaire d’un accès à un service de communication au public en ligne peut utiliser celui-ci pour échanger des œuvres protégées par un droit d’auteur ou un droit voisin.

Art. 13

Les dispositions des articles 10 et 11 sont d’application.

Chapitre V: De la réponse graduée en cas de non-respect des conditions dans lesquelles le titulaire peut échanger des œuvres protégées par un droit d’auteur ou un droit voisin et en cas de téléchargements d’œuvres non autorisées

Art. 25

Il est créé un « Conseil de la protection des droits d’auteur sur Internet » qui est composé de:

— deux représentants du ministre qui a l’Économie dans ses attributions;
— six représentants des ayants droit;
— deux représentants des titulaires;
— deux représentants des fournisseurs d’accès;
— deux représentants de l’industrie des moyens technologiques de communication;
— deux avocats spécialisés en matière de droits d’auteur;
— un représentant de la Commission de la protection de la vie privée.

Les membres du Conseil sont nommés par le Roi pour une durée de quatre ans. Le mandat est renouvelable.

L’avis du Conseil est requis sur tous les projets d’arrêtés pris en exécution de la présente loi.

Dans cet objectif, il reçoit copie des mesures proposées ou prises par les agents visés par la présente loi ainsi que des décisions judiciaires rendues dans ce cadre.

Le Conseil peut également donner un avis soit d’initiative, soit à la demande du ministre compétent, sur toutes questions liées à l’application de la présente loi, sur toutes questions relatives au développement de l’offre légale de contenus culturels en ligne ainsi que sur toutes questions liées à l’évolution technologique.

À cette fin, le Conseil crée un site Internet qui reprend les sites contenant des œuvres dont la mise à disposition du public a été autorisée par les auteurs et titulaires de droits voisins.

Ce site Internet est actualisé chaque mois.

Le Conseil rédige un rapport annuel communiqué au gouvernement et aux chambres législatives dans lequel figure notamment une évaluation de la présente loi.

Les membres du Conseil sont soumis au secret professionnel en ce qui concerne les données à caractère personnel.

Le Roi fixe l’organisation et le fonctionnement du Conseil et met en place le personnel nécessaire à disposition de celui-ci.

Amputée de onze articles sur vingt-cinq, la proposition de loi des libéraux n’en demeure pas moins problématique dans le mesure où, entre autres :

  • il y est évoqué à de nombreuses reprises, sans jamais que le terme soit défini, la notion d’« opérateur de bases de données » ;
  • l’Article 5, point 3°, impose aux fournisseurs d’accès à Internet la promotion de la liste des offres légales constituée par le « Conseil de la protection des droits d’auteur sur Internet » (cf. Article 25) ;
  • l’Article 8 use de la notion floue d’« opérateur de bases de données » et impose aux titulaires de droits d’auteur ou droits voisins le recours à une société de gestion afin de pouvoir jouir de certains de leurs droits ;
  • l’Article 12 exige l’établissement d’accords entre acteurs privés et permettrait la restriction de la liberté d’usage, pour l’internaute, de sa connexion au Net. Il est clairement fait mention de limitation, sans plus de précision sur la nature de celle-ci ;
  • l’Article 25 enfin, crée un « Conseil de la protection des droits d’auteur sur Internet », compétent pour donner un avis sur toutes questions liées à l’évolution technologique. Ce « Conseil » aurait notament pour pour but la création d’une liste des offres légales en ligne. Cette mesure frôle la pratique anticoncurentilelle. Elle pose, en effet, plusieurs questions : quels critères détermineraient le caractère légal ou non d’une offre ? Comment seraient assurées l’exhaustivité et les mises à jour de cette liste (conditions indispensables pour ne pas entraver la libre concurrence ou enrayer toute possibilité d’innovation dans ce secteur) ?

« Bien que l’ablation de tout le pan répressif de la HADOPI belge soit une bonne nouvelle, cette proposition de loi demeure fondée sur la présomption d’un préjudice qui n’a toujours pas été démontré. Plutôt que d’envisager Internet comme une opportunité permettant de réduire le nombre d’intermédiaires entre le public et les artistes, le texte se borne à continuer de placer les sociétés de gestion des droits d’auteur au centre de toute perception de revenus. Ce sont des initiatives innovantes, et une liberté de diffusion artistique que l’on devrait encourager, plutôt que de faire le jeu de sociétés privées. Nous resterons naturellement vigilants à l’évolution de ce dossier et aux menaces qu’il fait peser sur le réseau et les droits des internautes. » conclut Daniel Faucon, porte-parole de la NURPA.

Références

1 : une version dopée de la HADOPI française
2 : Séverine Dusollier a notamment été impliquée dans l’adaptation des licences Creative Commons en droit belge
3 : l’ex-sénateur Philippe Monfils