Le fichage de tous les voyageurs pour en finir avec les « belles idées de liberté et vie privée »

Bruxelles, le 13 juin 2014 – Interviewée la semaine dernière au sujet de la fusillade du musée juif, la ministre de l’intérieur Joëlle Milquet appelait de ses vœux la création d’accords portant sur le transfert des dossiers des voyageurs (PNR) en Europe. Brandissant la menace du terrorisme et instrumentalisant un tragique fait d’actualité, la ministre enterre vie privée et libertés pour promouvoir des mesures dénoncées notamment par le Parlement européen pour leur caractère liberticide.

Les Passenger Name Records (PNR ; en français, dossiers des voyageurs) sont une série d’informations personnelles au sujet des voyageurs rassemblées principalement par les compagnies aériennes et centralisées par diverses entreprises (fournissant des services de « Computerized Reservation System (CRS) », aussi appelés « Global Distribution Systems (GDS) »).

Chaque dossier comprend jusqu’à soixante données différentes. Outre les nom, prénom et la nationalité communément requis pour la réservation d’un trajet, les PNR contiennent le lieu et la date de naissance, le genre, les informations de paiement, les préférences alimentaires (qui, dans certains cas, trahissent la confession), l’état de santé, l’adresse IP (dans le cas d’une réservation en ligne), l’ensemble des informations de contact des voyageurs ou encore des informations sur les relations entre ceux-ci (réservation commune, places occupées).

L’objectif initial des PNR était l’amélioration de la gestion des réservations, cependant, au fil du temps, la quantité de données collectées n’a cessé de croître. Suite aux attentats du 11 septembre 2001, divers services de renseignement américains se sont mis à collecter ces informations afin de « prévenir et détecter les infractions terroristes ». Ces pratiques ont entraîné de nombreux débats sur, d’une part, la nécessité de collecter ces informations et, d’autre part, l’opportunité de les partager avec les services de renseignement des États membres de l’Union mais aussi des pays tiers 1 2 3.

« Cette disposition [nda: le transfert des dossiers des voyageurs en Europe] adoptée en Conseil européen a été bloquée par le Parlement européen pour des belles idées de liberté de la vie privée. Je peux comprendre, mais nous n’en sommes plus là. Nous avons vraiment besoin d’augmenter nos dispositifs légaux européens et nationaux sur ces problématiques » Joëlle Milquet au micro de Bertrand Henne pour La Première.

Tout d’abord, dans le cas de la fusillade du musée juif, le suspect a été arrêté de manière fortuite lors d’un contrôle de douanes visant un autobus et non un avion (la disposition à laquelle madame Milquet fait référence porte uniquement sur le trafic aérien quittant ou entrant dans l’Union européenne). Il est à noter, par ailleurs, qu’aucun système de conservation de données de communication, ni aucun système de video surveillance n’aura contribué à l’arrestation.

Ensuite, une directive similaire, ayant pour but la collecte massive d’informations personnelles a récemment été invalidée par la Cour de Justice de l’Union européenne au motif de son incompatibilité avec la Charte des droits fondamentaux. Emportée par la Comédie sécuritaire, la ministre semble oublier que ces « belles idées de liberté de vie privée » sont consacrées par le droit de l’Union européenne.

Enfin, en avril 2013, la commission du Parlement européen chargé du dossier PNR, s’appuyant notamment sur les critiques émises par le contrôleur européen de la protection des données, a recomandé le rejet du projet de loi. Le Parlement européen doit encore rendre sa décision sur le sujet.

« En promouvant des mesures qui sacrifient liberté et vie privée sur l’autel de la Comédie sécuritaire, la ministre de l’Intérieur Joëlle Milquet fait le jeu de tous les terrorismes. Les "belles idées de liberté et de vie privée" décriées par la ministre sont les pierres angulaires de nos sociétés démocratiques. Ces belles idées sont par ailleurs consacrées par la constitution belge, le droit de l’Union et divers chartes/traités internationaux. La liberté et la vie privée, nous y sommes toujours, il est de la responsabilité de chacun, plus encore de la ministre de l’Intérieur, de s’assurer que nous y restions le plus longtemps possible. » déclare André Loconte, porte-parole de la NURPA.

Références

1 : rapport du contrôleur européen de la protection des données
2 : rapport de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA)
3 : opinion du groupe de travail Article 29