Avis de la Cour de justice de l’Union au sujet de la directive sur la conservation des données

Bruxelles, le 12 décembre 2013 - L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu aujourd’hui son avis dans le cadre du renvoi préjudiciel initié par l’Irlande au sujet de la directive sur la conservation des données. Il souligne l’incompatibilité des mesures prévues par la directive avec la Charte des droits fondamentaux.

La directive sur la conservation des données (2006/24/CE), adoptée suite aux attentats de Madrid (2004) et de Londres (2005), contraint les opérateurs de télécommunication et les fournisseurs d’accès à Internet européens à conserver les méta-données de communication de leurs usagers pour une durée allant de six mois à deux ans.

Les méta-données correspondent à l’ensemble des informations relatives à une communication à l’exception de son contenu. Si le contenu d’une communication correspond à ce que nous disons, les méta-données de communication correspondent à ce que nous faisons : qui contacte qui, à quelle heure, pendant combien de temps, depuis quel dispositif, depuis quel endroit,...

La directive, dont la nécessité n’a jamais été démontrée, a fait l’objet de nombreuses critiques 1, notamment de la part du rapport d’évaluation de la Commission européenne qui met en exergue de nombreux cas d’abus. Des transpositions nationales de la directive ont depuis été annulées par diverses Cours constitutionnelles à travers l’Union 2. La directive fait par ailleurs l’objet de différentes procédures préjudicielles (C-461/10, C-293/12, C-594/12, C-46/13).

Maitre Cruz Villalón, avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne, conclut dans son avis publié aujourd’hui que :

  • La directive 2006/24/CE [...] est dans son ensemble incompatible avec l’article 52 (1) 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans la mesure où les limitations à l’exercice des droits fondamentaux qu’elle comporte, du fait de l’obligation de conservation des données qu’elle impose, ne s’accompagnent pas des principes indispensables appelés à régir les garanties nécessaires à l’encadrement de l’accès auxdites données et de leur exploitation ;
  • L’article 6 de la directive 2006/24 est incompatible avec les articles 7 4 et 52 (1) de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne en ce qu’il impose aux États membres de garantir que les données visées à son article 5 soient conservées pendant une durée dont la limite supérieure est fixée à deux ans.

Contexte belge

Malgré les innombrables critiques visant la directive sur la conservation des données, le Parlement fédéral a adopté en juillet dernier, dans le cadre d’une procédure d’urgence requise par le Gouvernement, une loi et un arrêté royal transposant cette directive en droit belge.

Les États membres disposent d’un certain délai pour adapter en droit national les directives européennes. La Belgique avait dépassé ce délai de plus de quatre ans. Ceci relativise considérablement l’« urgence » à adopter, avant les vacances parlementaires, un projet de loi ayant des implications sur les droits fondamentaux.

La loi et l’arrêté sus-mentionnés feront prochainement l’objet d’une publication dédiée de notre part.

« L’avis de l’avocat général de la Cour de justice de l’Union rappelle que toute restriction des droits et libertés fondamentaux doit faire l’objet d’un encadrement strict et souligne l’incompatibilité de l’obligation de conservation des données avec le droit au respect à la vie privée. Cela pose par ailleurs la question de la pertinence de l’examen réalisé par le Parlement fédéral et le Gouvernement belge de la problématique de la conservation des données, certaines dispositions de l’arrêté allant plus loin encore que les mesures requises par la directive. » déclare André Loconte, porte-parole de la NURPA.

Références

1 : Lettre ouverte du 22 juin 2010 adressée à Cecilia Malmström, Viviane Reding et Neelie Kroes ; avis du contrôleur européen de la protection des données (EDPS) au sujet du rapport d’évaluation de la Commission européenne sur la directive de conservation des données.

2 : c’est le cas notamment en Allemagne

3 : Article 52(1) de la Charte : « Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répon­dent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

4 : Article 7 de la Charte : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses commu­nications. »